À peine un peu moins enfantin que le Tireur d'épine, sans gêne aucune et sans excessive impudeur, il s'offrait à l'amour avec un abandon, une tendresse, une grâce que je n'avais encore jamais connues.
--André Gide, Le Ramier
Tireur d'épine, Musée du Capitole, Rome
What is it?
Comment?
Euhhh … pourquoi est-ce qu’on parle français aujourd’hui, John?
Parce que je fais la critique d’un livre que j’ai lu en français.
Très bien. Il s’agit de quoi ?
En fait, je dis que c’est un livre, mais c’est pas vraiment un livre, plutôt un fragment. Écrit par André Gide en 1907, mais publié seulement en 2002.
Pourquoi le long délai, de 95 ans ?
Parce que Gide voulait le développer en quelque chose de plus ample, mais il ne l’a jamais fait. Le fragment a été trouvé par la fille de Gide, parmi ses papiers.
C’est une nouvelle ou quoi ?
Non, c’est vraiment un fragment autobiographique, de seulement 11 pages dans la version imprimée. C’est l’histoire de sa rencontre amoureuse avec un jeune homme, Ferdinand, une histoire d’une nuit. Rien de particulier. Juste une rencontre, c’est ça.
Il avait l’habitude de rencontrer de jeunes mecs ? Il avait quel âge, Gide, à cet époque ?
Il avait 37 ans. Il pensait que Ferdinand avait 15 ans, mais il s’est trompé : il en avait 17. Et oui, il est évident qu’il aimait les gars pas mal jeunes. Il dit dans ce fragment qu’il a déjà flirté avec trois jeunes hommes ce même jour.
Waouah, faire l’amour avec un garçon qu’on croît d’avoir seulement 15 ans, quand on en a 37, c’est un peu particulier, non ?
Oui, de la perspective de 2017. Mais ce qui est frappant dans cette petite histoire est le fait que, de toute évidence, ils n’ont pas fait grand-chose. Ils se sont embrassés dans le lit de Gide, mais quand Ferdinand a demandé s’ils allaient « se tailler les pipes » (j’ai dû chercher ça dans le dictionnaire !), Gide a trouvé l’idée assez répugnante. Et c’est sûr qu’il n’y avait pas de pénétration de n’importe quel genre dans cette rencontre. Finalement, c’est un récit d’une tendresse et d’un romantisme exceptionnels. Comme dit Catherine Gide dans l’avant-propos, « Toute perversité en est totalement absente. » Pour Gide, l’homosexualité s’exprimait par le biais d’un contact physique plutôt simple, dans les ombres, naïf même. Il a dit de ses propres appétits : « Le plus furtif contact [me] satisfait. » On est loin de l’ère de Grinder ici !
Des étoiles genre Michelin pour ce livre ?
Non, c’est trop mince. Il ne s’agit pas d’une grand œuvre littéraire, mais d’une curiosité. Mais très intéressant pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’homosexualité, comment les hommes ont assumé leur orientation sexuelle avant l’ère de la Fierté Gaie. C’est pas mal rafraichissant à lire, franchement. Et l’introduction et la postface dans l’édition Gallimard valent la peine d’être lues aussi, pour ce qu’ils ont à offrir pour mettre l’histoire dans un contexte, et aussi pour donner la suite: Ferdinand mourut en 1910 d’une tuberculose, à l’âge de 20 ans.
Pourquoi le livre s’intitule Le Ramier?
C’est le nom que Gide et ses amis ont donné à Ferdinand, parce qu’il faisait un roucoulement quand on l’embrassait, comme un oiseau—un ramier.
Ah. C’est mignon, ça.
Oui.
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